Écrit par Jean-Pierre Viry
Mardi, 18 Janvier 2011 18:43
Janvier 2010
Communiqué de la LPO Aquitaine et de la SEPANSO sur la préservation de la Bernache cravant
Suite à la publication d'un reportage dans « la Dépêche du bassin » sur les dénombrements de Bernache cravant à ventre sombre sur le bassin d’Arcachon, les adhérents de nos associations, mais aussi plusieurs personnes résidant sur ce territoire, nous ont interpellés sur le sens de notre contribution à ces comptages, ainsi que sur notre position quant à la demande de la fédération des chasseurs de la Gironde d’ouvrir la chasse de cette espèce protégée.
Notre participation à ces dénombrements, coordonnés pour l’heure par la FDC33 et regroupant d’autres organismes (Parc Naturel régional des Landes de Gascogne, Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, Association de Chasse Maritime du Bassin d’Arcachon), n’est qu’une évolution récente et spécifique d’un suivi global des populations d’oiseaux d’eau que certains de nos adhérents effectuent chaque année sur le bassin depuis 1967. Ces opérations de comptages sur une longue période, organisées par « Wetlands International » à l’échelle d’un très vaste ensemble biogéographique (le Paléarctique Occidental, qui s’étend de l’Afrique de l’Ouest à la Sibérie en englobant une partie du Moyen-Orient ainsi que toute l’Europe), permettent de mesurer les évolutions des populations d’oiseaux et des habitats naturels dont ils dépendent.
Ces dénombrements sont effectués par des personnes compétentes sur la base de protocoles scientifiques validés et dans le sens de l’Intérêt Général d’un suivi de la biodiversité planétaire. En aucun cas ils n’ont jamais eu pour fonction de satisfaire dans quelque sens que ce soit, les intérêts particuliers d’un corps social, ou d’orienter une quelconque stratégie pouvant satisfaire les visions de certains individus ou organismes.
Suite au constat de la régression de l’herbier à zostères (nourriture principale de la bernache) documenté par IFREMER, il a été décidé il y a quelques années et d’un commun accord, d’intégrer notre réseau d’observateurs à celui coordonné par la FDC33 afin d’améliorer le suivi de l’espèce et de produire une évaluation de l’hivernage au plus près de la réalité sur le bassin d’Arcachon. Cependant, notre participation active à ces opérations scientifiques d’intérêt général ne peut valoir pour caution, et encore moins pour validation, des interprétations que l’un ou l’autre des participants fait des résultats obtenus en commun.
En l’état actuel des connaissances scientifiques acquises dans tout l’hémisphère Nord sur la relation que cette espèce entretient avec la plante qu’elle consomme, rien ne démontre que la bernache soit peu ou prou responsable d’une régression des herbiers à zostères, par ailleurs constatée dans de nombreux pays. Par contre, il est certain que cet oiseau sera la première victime d’un phénomène qui a déjà des conséquences néfastes sur le fonctionnement des écosystèmes littoraux et aussi sur les activités humaines s’y exerçant.
Une étude pilotée par le CNRS visant à évaluer l’impact du cortège avifaunistique sur l’herbier à zostère du bassin d’Arcachon est actuellement en phase finale de rédaction, ses résultats devraient rapidement apporter un éclairage complémentaire (et nous l’espérons définitif !) sur ce sujet.
La proposition de la FDC33 de permettre la chasse de quelques milliers de Bernaches cravant sur le bassin afin de « préserver l’herbier de zostères » est donc un non-sens, une fausse solution pour résoudre cette question. La fédération des chasseurs réclame de manière récurrente l’officialisation du déclassement de cette espèce protégée depuis 20 ans au moins, et cette présente requête n’en est qu’un épisode supplémentaire utilisant une nouvelle argumentation dont la teneur est simpliste.
S’agissant ici d’un oiseau à faible effectif (200 000 individus environ) sans comparaison possible avec ceux de la plupart des oiseaux d’eau chassables (jusqu’à plusieurs millions pour certains canards). D’une espèce exclusivement cantonnée à un très petit nombre de sites littoraux, et dont la population globale est en régression depuis des années, il y a très peu de chance que l’hypothèse de son déclassement soit validée par la communauté scientifique internationale et intervienne à court terme.
Les enjeux du maintien du bon état des populations de cette espèce dépassent largement le territoire du bassin d’Arcachon et les côtes françaises. Si elle est reconnue depuis longtemps pour jouer un rôle de « thermomètre naturel » de l’état de santé des écosystèmes du littoral de l’Europe, elle est aussi l’une des espèces clés retenues par la communauté scientifique internationale pour mesurer les évolutions et les impacts des changements climatiques sur notre planète. Nidifiant dans la zone circumpolaire, utilisant des points d’escale séculaires en migration, hivernant sur un petit nombre de sites du littoral de tous les océans de l’hémisphère Nord, elle détient aussi la particularité d’être une espèce dont on peut facilement et précisément évaluer la productivité annuelle (taux de jeunes). Ce modèle de choix, associé à bien d’autres outils d’évaluation, aide ainsi à mesurer, et peut-être anticiper, l’impact de modifications climatiques qui auront par ailleurs de très fortes répercutions sur les activités humaines, y compris dans le bassin d’Arcachon.
L’effectif des Bernaches cravant hivernant ces dernières années sur le bassin équivaut (et dépasse régulièrement) à 50% de l’effectif présent sur le littoral français. Sur un niveau plus global, ce sont de 20 à 30% de la population totale de cette sous-espèce qui évoluent entre le Cap-Ferret et Andernos ! Le bassin d’Arcachon est donc un site crucial pour la survie de cet oiseau au de-là duquel, il n’y a pas de salut (plus au sud, aucun site du littoral n’a la capacité d’accueillir cette espèce en nombre significatif). Tous les acteurs de ce territoire, et en particulier ceux qui peuvent en influencer le devenir sont, qu’ils le veuillent ou non, dépositaires d’une très grande responsabilité vis-à-vis de cet élément clé d’un patrimoine naturel commun à tous. L’analyse strictement locale de ce phénomène, le sentiment personnel ou les intérêts particuliers de quelque groupe social que ce soit, ne peuvent être des modèles pour envisager des prises de décision qui engagent la responsabilité du bassin bien au de-là de ses frontières naturelles et sociales.
Durant plusieurs décennies, la présence de la Bernache cravant (et d’autres espèces d’oiseaux) a illustré de manière spectaculaire et perceptible par tous, la richesse, la qualité et la capacité des milieux naturels du bassin d’Arcachon. Depuis quelques années, certains éléments interdépendants de ce système complexe s’avèrent en crise. L’analyse de ces dérèglements est brouillée par une perception sociale dont l’approche est trop fragmentaire et de plus, intentionnellement influencée par les intérêts particuliers de certains groupes sociaux. La véritable crise écologique qui altère chaque jour un peu plus le bassin d’Arcachon ne pourra se résoudre qu’en refusant de faire l’impasse sur tous les sujets qui peuvent influencer le présent et le devenir des écosystèmes, y compris sur des sujets qui pourraient avoir de fortes implications sociales ou politiques.
Le Président de la LPO Aquitaine Le Président de la SEPANSO
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